Jean-Pierre Dufoix est né à Montpellier, non pas à « Montpeulier », comme il se faisait un devoir de le rappeler, à l'occasion. Après des études aux Beaux-Arts de Lyon puis de Paris, il réussit brillamment le concours d'architecte en chef des monuments historiques de 1972. Le sujet de sa thèse fut l'abbaye de Saint-Gilles du Gard. Le ministère de la Culture lui confiera plusieurs circonscriptions, notamment les Bouches-du-Rhône et le Gard, auxquelles s'ajoutèrent, par la suite, le château de Vincennes et le Palais de Justice de Paris. Nommé inspecteur général des monuments historiques en 1985, il se verra chargé de l'inspection de l'église Saint-Louis des Français à Lisbonne ainsi que de celle des Pieux Établissements de France et de la Villa Médicis à Rome.

     Expert auprès de l'UNESCO et remplissant maintes missions à l'étranger, il fut également enseignant à la Sorbonne.

     Comment citer les centaines d'édifices qui l'ont vu intervenir ? La Vieille Charité à Marseille restaurée de fond en comble, le délicat portail de Saint-Trophime d'Arles, les monuments antiques du Gard, la restauration pionnière de la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille. Pourquoi pionnière, parce qu'il fut parmi les premiers à être confronté à la restauration du béton armé, à la conservation d'une conception du 20^ème siècle et, comme à Saint-Trophime, parce qu'il sut réunir historiens, archéologues, laboratoires et autres spécialistes pour intervenir en scientifique conciliant recherche et application.

     Jean-Pierre Dufoix était chevalier des Arts et Lettres et Chevalier du Mérite.

     A la différence de presque tous les ACMH en exercice dans les années 70 et 80, Jean-Pierre Dufoix s'est refusé à s'installer à Paris pour demeurer à Montpellier. Son enracinement dans le Midi et sa carrière prestigieuse lui donnaient vocation à devenir membre de l'Académie des Sciences et Lettres où il fut accueilli en 1977, à l'âge de 46 ans, sur le fauteuil XVIII de la section Sciences, parrainé par Etienne Sicard. Notre confrère n'aurait pas manqué de rappeler que son parrain habita l'hôtel Verrière, qui accueillera bientôt la Maison de l'Académie.

     En 2002, il exerça la présidence générale. Jean-Pierre Dufoix avait une haute considération de notre académie et exigeait, encore récemment, de tout candidat, la plus grande honnêteté.

     Très souvent, il participa aux réunions de la CNA et il se chargea, durant bien des années, des voyages de l'académie, des moments forts d'échanges auquel il tenait beaucoup. Ces périples lui donnaient l'occasion de présenter des architectures anciennes détaillant la problématique de leur conservation ou de leur restauration, toujours pour les défendre « ...des altérations comme de l'oubli ... » (1).

     Et, c'est dans l'organisation même de ces voyages qu'entrait en scène Christiane, son épouse, à qui aucun détail n'échappait. Les souvenirs de ces voyages comme des séances ne manquent pas car Jean-Pierre Dufoix a livré à l'académie des carnets de dessins où beaucoup reconnaîtront les architectures visitées et quelques personnages joliment croqués. Le dessin était pour lui un outil, dans son exercice professionnel, une passion ; il aurait volontiers fait sienne cette opinion d'un confrère :«...Sans dessin, je considère que mon regard est superficiel...»(2).

     Au sommet de la tour du Parc à Ballons, à tout juste une encablure du Lez, c'est là que Jean-Pierre travaillait dans son antre, un cabinet de curiosités pour qui ne connaît pas les agences d'architecte des 19^e  et 20^e siècles. Des livres, beaucoup de livres, des dossiers, beaucoup de dossiers, des dessins, des objets parfois insolites, des toiles de l'ami Calvet.

     Dernièrement, Jean-Pierre décida de s'employer à veiller à l'approfondissement de la connaissance du pays d'Aigues-Mortes. Et cet automne, sa joie fut certainement immense de voir l'académie s'investir dans cette tâche comme il en avait manifesté le désir dès lors qu'il avait mis sur pied, avec Bernard Aubert et quelques passionnés, l'association Sur les pas de Saint-Louis en Baie d'Aigues- Mortes.

     Jean-Pierre fut mon parrain avec Guy Puech. Disponible en toutes circonstances, il raffolait de me parler de l'académie et de ses projets. Je ne saurais trop dire le plaisir que j'avais à partager ces moments avec lui.

     Lors de ma réception à l'académie, Jean-Pierre m'avait confié ses grandes difficultés à prononcer sa réponse. Je le rassurais alors même que dans mon for intérieur la réalité me rendait malheureux. Ces toutes dernières années, Jean-Pierre se faisait plus rare au Salon Rouge, mais chacun percevait sa joie intérieure d'être parmi ses consœurs et ses confrères.

     Soudain, la maladie est devenue menaçante et l'a affaibli de plus en plus, mettant durement à l'épreuve son entourage. Il nous a quitté le 4 janvier dernier mettant aussi un terme à près d'un demi-siècle d'activité à l'académie.

     Resurgit ce soir en moi l'enthousiasme de Jean-Pierre chaque fois que je faisais allusion à la Grèce, ses sites et ses monuments qu'il a tant parcourus et dessinés. Lui aussi pensait sans doute qu'autrefois « Aux siècles orphiques, l'esprit soufflait sur le marbre ; les murailles antiques ont vécu comme des hommes et les architectures perpétuaient les songes.» (3)

Dominique Larpin, Montpellier, lundi 20 janvier 2025.

        (1) D'après, Paul Valéry - Eupalinos ou l'architecte

        (2) Jean-Christophe Quinton

        (3) Paul Valéry - Ermitage : Paradoxe sur l'architecte

Voir aussi la réponse d'Etienne Sicard quand Jean-Pierre Dufoix fit l'éloge de son prédécesseur Pierre Guillon (21/11/1977) :

https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/DUFOIX-ELOGE-GUILLON-1977.pdf