Jean Hilaire nous a quittés le 5 août dernier, dans sa 97ème année, après une courte maladie qui succédait à un long affaiblissement. Son épouse Jacqueline était auprès de lui, et il est parti dans la paix.
Il est bien difficile d'évoquer en quelques mots une vie aussi longue et aussi bien remplie. Je vais néanmoins le faire, selon l'usage de notre Académie dont il était un membre éminent. Mais Jean était pour moi bien plus qu'un confrère académicien ; c'était aussi un collègue de l'Université, depuis plusieurs décennies, et c'était aussi, et surtout, un ami.
J’évoquerai d’abord l'universitaire, puis l’académicien.
I. - Jean Hilaire a été un grand universitaire. Étudiant en droit à Montpellier, où son père était directeur de la Poste centrale, il a été très vite intéressé par la dimension historique du droit. La faculté de Montpellier possédait alors un maître remarquable, en histoire du droit, en la personne de Pierre Tisset (qui était aussi membre de notre compagnie). C'est donc tout naturellement qu'après sa licence, Jean a préparé une thèse sous sa direction. Le sujet choisi était particulièrement ardu puisqu'il s'agissait d'étudier l'évolution des régimes matrimoniaux à la fin du Moyen âge, à partir de registres notariaux très difficiles à déchiffrer, et auxquels personne, jusqu'alors, ne s'était affronté. Le travail qui en est résulté était remarquable et la thèse de Jean Hilaire, soutenue en 1957, fait encore autorité aujourd'hui.
Agrégé quelque temps après, Jean est nommé professeur à l'université de Dakar. Il y enseigne l'histoire du droit, mais en adaptant son propos à son auditoire africain, en particulier en insistant sur la dimension coutumière du droit. Il a théorisé cette expérience dans un article d'une grande finesse, ironiquement intitulé Nos ancêtres les Gaulois. Et l'étude du droit coutumier restera, jusqu'à la fin, un de ses sujets de prédilection.
Après Dakar, ce fut le retour à Montpellier. Et ce fut notre première rencontre : le professeur Hilaire était chargé du cours d'histoire du droit en 1ère année, et j'étais l'un de ses très nombreux étudiants de l’année 1964-1965. Ma dette à son égard remonte à cette époque car c'est grâce à lui que j'ai découvert cette discipline à laquelle je devais à mon tour me consacrer quelques années après.
Jean n'est pas resté longtemps à Montpellier. Avec sa première épouse, Françoise, ils ont décidé de poursuivre leurs carrières à Paris et donc de s'établir dans la capitale. Jean a d'abord accepté un poste à la faculté de droit de Lille, puis à celle de Nanterre. Mais après 1968, l'Université de Nanterre était le théâtre d'une agitation permanente qui rendait l'enseignement presque impossible, ce que Jean supportait très mal. Avec quelques collègues, il a donc obtenu du ministre des Universités la création d'une nouvelle faculté de droit au sein de l'Université René Descartes (Paris V), dans les locaux de l'ancienne École supérieure d'électricité, à Malakoff. Jean a été naturellement élu doyen de cette nouvelle faculté de droit, qui a connu aussitôt un grand succès. Sur quoi, après quelques années, il a rejoint le « Saint des Saints » des juristes, l'Université Paris II Panthéon- Assas.
Parmi beaucoup d'activités nouvelles que cette nouvelle affectation lui permet de développer, je ne citerai que la direction d'une importante équipe de recherche associée au CNRS et installée dans les locaux des Archives Nationales, rue des Francs-Bourgeois ; cette équipe explorait les fonds immenses de l'ancien Parlement de Paris, qui fut la plus haute juridiction française du règne de Saint Louis à la Révolution, observatoire exceptionnel pour faire l'histoire de l'ancienne justice.
Cette période, très active pour Jean sur le plan scientifique, a été assombrie par l'état de santé de son épouse, Françoise, qui est décédée après une longue et pénible maladie.
II. - Après sa retraite, Jean n'a pas voulu rester à Paris et a cédé à l'appel des racines. Ce retour à Montpellier, marqué par son remariage avec Jacqueline, lui permet de rejoindre notre Académie. Sur présentation du Professeur Henri Vidal, un autre historien du droit, il est élu en 1999 sur le IIème fauteuil de la section des Lettres et aussitôt, comme dans toutes les occurrences antérieures, il s'investit sans réserve dans la vie de la compagnie. Il en devient président général dès 2004, participe très activement à la préparation du Tricentenaire, qui a été célébré en 2007, assume la charge de bibliothèque-archiviste de l'Académie pendant dix ans, et présente nombre de conférences remarquées, sur des sujets chaque fois différents qui montre l'étendue de ses curiosités : « Jacques Coeur et le service du Roi » ; « Le droit dans les fables de La Fontaine » ; « Les origines du Code civil » ; « Saint Louis, souverain et juge » ; « Être père de famille au XVIIe siècle », etc.
Au-delà des activités multiples du savant, de l'universitaire, de l'académicien, je conclurai sur l'homme qu'il était. Le droit n'était pas sa seule passion. Il aimait aussi les lettres et les arts. Par son beau-père, Jean Claparède, qui avait dirigé le musée Fabre pendant vingt ans (de 1945 à 1965) et dont il avait été très proche, Jean connaissait parfaitement le musée de Montpellier et possédait une solide culture artistique. Il aimait la peinture et la pratiquait lui-même, avec bonheur, délicatesse, et humilité.
Sa finesse, son érudition, son humour, sa bienveillance, sa grande courtoisie, vont nous manquer.
Jean-marie Carbasse
Voir aussi la réponse d'Henri Vidal quand Jean Hilaire fit l'éloge de Daniel Moutote (9/10/2000) :
https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/HILAIRE-ELOGE-MOUTOTE-REP-VIDAL-2000.pdf