1. Le contexte familial et les études secondaires
Paule Bagnol est le nom de jeune fille de Madame Comet. Elle est née le 15 Novembre 1919 en Avignon, d'un père Professeur de Mathématiques à l'Ecole Normale d'Instituteurs, et d'une mère "femme au foyer" qui, cependant, avait préparé avant son mariage le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure de Jeunes filles de Sèvres au lycée Stendhal de Grenoble de 1911 à 1913. Madame Bagnol avait renoncé à se présenter au concours car elle était déjà fiancée, et à cette époque les Sévriennes étaient obligatoirement célibataires pendant leurs années d'école. Paule Bagnol a passé son enfance et son adolescence dans la Cité des Papes, chez ses parents avec sa sœur et son frère, nés respectivement 7 ans et 10 ans après elle.
Sa mère a suivi de très près ses études secondaires, et ce dans toutes les matières : Paule Bagnol a ainsi acquis une méthode de travail efficace, ce qui lui a permis d'obtenir sans discontinuer le prix d'excellence au lycée de jeunes filles d'Avignon de la classe de 6ème à la 1ère. Elle avait hérité de son père le goût des mathématiques, mais aussi des sciences naturelles. Pendant les vacances, pas de GameBoy, de PlayStation, d'ordinateur ni même de télévision: elle faisait avec son père de l'algèbre, de la géométrie, mais aussi de l'astronomie, de la botanique (détermination des plantes, constitution d'un herbier) et de la géologie (recherche de fossiles). Vacances n'était pas synonyme d'oisiveté.
Ainsi le milieu familial a-t-il eu une influence déterminante sur les goûts personnels et sur l'orientation des études de Paule Bagnol. A ceci s'ajouta la qualité, qu'elle considère comme exceptionnelle, des professeurs qu'elle a eus au lycée d'Avignon, pratiquement dans toutes les matières dit-elle, mais plus particulièrement en mathématiques et en sciences naturelles, et ce n'est certainement pas un hasard si ces disciplines étaient ses matières de prédilection. Lorsqu'elle a été nommée, une trentaine d'années plus tard, en 1968, inspectrice pédagogique régionale en sciences naturelles dans l'académie de Grenoble, elle a retrouvé certains de ses professeurs d'Avignon, alors à la retraite, avec qui elle a pu évoquer, dit-elle, « un souvenir vivace d'un passé commun particulièrement heureux au lycée d'Avignon ».
2. Les études supérieures
Qu'allait-il advenir de cet excellent patrimoine génétique cultivé dans un terreau propice ? Nous sommes en 1936, Paule Bagnol a 17 ans. Après avoir été reçue avec mention très bien à la première partie du baccalauréat, elle quitte sa bonne ville d'Avignon. Admise au lycée de jeunes filles de Versailles, qui deviendra plus tard le lycée La Bruyère, elle prépare en mathématiques élémentaires la seconde partie du baccalauréat qu'elle obtient avec la mention bien, puis entre en classe de mathématiques supérieures puis de mathématiques spéciales, et dès sa première année de préparation, "en 3/2" en 1939, est reçue à l'école normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, groupe "mathématiques, physique et chimie". Là, elle se déclare "naturaliste de vocation" et obtient de suivre à la rue d'Ulm les cours de cette discipline, tout en poursuivant en Sorbonne un cursus d'études supérieures (certificats de mathématiques, de physique, de zoologie, de géologie, de physiologie, tous obtenus avec mentions Bien ou Très Bien), terminant par un Diplôme d'études supérieures de Paléontologie, avec mention Très Bien et félicitations du jury. Elle est reçue en 1943 à l'agrégation de Sciences Naturelles classée première du concours hommes et femmes.
Très attachée à ses parents, elle leur écrivait tous les jours ou tous les deux jours, décrivant la vie quotidienne à l'internat, l'avancement de ses études, sollicitant des conseils de son père, parlant de ses professeurs. Elle adorait écrire, et a d'ailleurs toute sa vie échangé une correspondance suivie avec ses anciennes collègues et amies, même celles et ceux qu'elle avait perdu de vue. Elle disait qu'une lettre ne dérange jamais, on la lit quand on le veut, on la relit si on le souhaite, alors qu'un appel téléphonique est éphémère et dérange parfois.
Toute cette période d'étudiante à l'ENS de Sèvres a été marquée chez Paule Bagnol par une double empreinte : celle de la seconde guerre mondiale et celle de l'égalité hommes-femmes.
Les trois années de ses études universitaires 1940-41, 41-42 et 42-43 se sont déroulées en pleine guerre, et ont été très difficiles à vivre, matériellement, psychologiquement et même intellectuellement. Obligée le 10 Juin 1940, au moment de la débâcle, de quitter l'école en catastrophe pour passer deux certificats de licence à Montpellier, elle doit à la rentrée universitaire, comme toutes ses camarades, "émigrer" à Paris, l'école de Sèvres ayant été occupée par les allemands au cours de l'été. Allées et venues entre les deux implantations provisoires de l'école, entravées par des restrictions de déplacements dans Paris, privations de nourriture, alertes aériennes, peur des rafles. Travailler et survivre étaient les préoccupations principales, les distractions passaient au second plan. Parmi ce qu'elle décrit elle-même comme ses principaux loisirs, en cette période de privation des libertés : les sorties d'études, en tant que naturaliste, dans diverses régions de France (Morvan, Jura, Corbières), ou les séjours dans les laboratoires de biologie marine dépendant de l'Université de Paris (Roscoff, Banyuls, Villefranche sur mer). A cela s'ajoutaient les difficultés pour correspondre avec sa famille, restée en Avignon en zone dite libre : courriers interceptés voire détruits, nécessité d'être intégrés dans les convois organisés pour franchir la ligne de démarcation, ce qui n'était autorisé pour les étudiants que deux fois par an, à Pâques et aux vacances d'été.
Paule Bagnol a vu la directrice de l'ENS Sèvres, Madame Cotton, limogée en 1941 pour avoir demandé au gouvernement de Vichy que les six élèves juives de l'école aient le droit de se présenter à l'agrégation, autorisation refusée et élèves obligées de porter l'étoile jaune et qui disparurent ensuite pour se cacher et fuir la traque de la gestapo. A l'inverse, trois sévriennes pronazies ont jeuné trois jours en signe de deuil après la bataille de Stalingrad. L'une d'elles, première à l'agrégation d'espagnol, a été nommée en 1943 au lycée Clemenceau à Montpellier en même temps que Paule Bagnol, dont on imagine aisément l'embarras et dont on comprend le refus de répondre aux sollicitations amicales de cette collègue de promotion milicienne, qui à la libération fut d'ailleurs emprisonnée et rayée des cadres de l'éducation nationale. Les Sévriennes dans l'ensemble ne faisaient pas de politique, certaines cependant entrèrent dans la résistance et furent déportées.
Le second thème marquant de cette période est l'aspiration constante que développe Paule Bagnol vers l'égalité entre hommes et femmes, que l'on retrouvera tout au long de sa vie, et qui se traduira en particulier par le besoin de faire aussi bien que les hommes notamment dans sa carrière professionnelle, le besoin d'être la première, pour elle-même et pour les siens. Elle était fière d'avoir toujours été la première au lycée. Elle était fière d'avoir réussi le premier concours de l'ENS Sèvres où les sujets d'examen étaient les mêmes pour les filles qui préparaient l'ENS Sèvres et pour les garçons qui préparaient le concours de la rue d'Ulm. Elle était fière que ses études se soient déroulées exactement dans les mêmes conditions que ses collègues garçons de la rue d'Ulm, et déclare : « j'ai dû lutter, tout au moins au début, pour faire comprendre à mes deux camarades de promotion de la rue d'Ulm que j'étais leur égale, et non leur inférieure », ou encore « Au cours des 4 années (1939-1943), je me suis facilement imposée grâce aux résultats que j'ai obtenus aux certificats de licence (une mention "Bien" et 4 mentions "Très Bien") et au diplôme d'études supérieures,…, le tout couronné par ma place de "cacique" générale à l'agrégation en 1943 ».
3. La vie active
Après avoir obtenu son agrégation, Paule Bagnol est nommée à Montpellier, au Lycée de jeunes filles, qui s'appellera plus tard lycée Clemenceau. Elle y enseignera pendant près de 19 ans, de 1943 à 1962. Peu de temps après son affectation, elle rencontre Jean Comet, qu'elle épouse le 29 Décembre 1945.
Jean Comet, dont le père était inspecteur de l'enseignement primaire, était lui-même agrégé de grammaire et de philologie, professeur au Lycée de garçons de Montpellier, très apprécié par ses élèves, puis fut le premier Directeur et donc le fondateur du Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) de Montpellier. Jean Comet fut membre de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, de 1964 à 1974. Il emmenait régulièrement sa famille voyager à travers la France et notamment sur les lieux où avaient vécu les grands écrivains français : Chateaubriand, Voltaire, A. de Vigny.
De cette union naissent quatre enfants : Michel en 1946, Jean-Louis en 1949, Annie en 1952 et François en 1960.
Deux ans après la naissance de François, elle est nommée au Lycée Joffre comme professeur de classes préparatoires aux Grande Écoles, en préparation Agro, où elle exercera de 1962 à 1966. Elle s'enorgueillit d'être alors la seule femme dans l'équipe professorale des classes d'Agro. Pendant cette période, elle préside l'Association Régionale des professeurs de Biologie et Géologie, et organise à ce titre le Congrès national de 1965 qui rassemble 550 participants.
De 1966 à 1977, date où elle a fait valoir ses droits à la retraite, Madame Comet a exercé comme Inspectrice Pédagogique Régionale de Sciences Naturelles, d'abord dans les académies d'Aix-Marseille et Montpellier, puis de Grenoble et Montpellier. Lorsqu'elle évoque cette dernière phase de sa carrière, c'est pour déclarer : « J'ai été : la première femme à être nommée inspectrice d'académie à compétence pédagogique dans l'académie de Montpellier ; la première femme, en France, à être nommée Directeur d'un Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) ». C'est son orgueil de femme qui ressort une nouvelle fois dans sa volonté d'être l'égale des hommes.
Ces activités professionnelles imposaient à Madame Comet, pendant la première moitié de sa carrière de consacrer beaucoup de temps à l'enseignement, ensuite en tant qu'IPR de passer la moitié de la semaine à Grenoble. Le temps de la vie active a comme c'est généralement le cas coïncidé avec l'éducation des enfants. Madame Comet avait étudié le piano, comme toutes les jeunes filles de bonne famille de l'époque. Chez elle, la vie se déroulait au rythme et au son des notes… des bulletins scolaires. Dans cette famille d'enseignants tout entière imprégnée d'une longue tradition éducative, l'apprentissage des matières était essentiellement un support permettant d'inculquer le goût du travail, de la rigueur intellectuelle et morale, et où il n'y avait par conséquent pas de place pour la médiocrité. Rien d'étonnant alors que Madame Comet ait éprouvé une grande joie et une grande fierté que ses quatre enfants soient tous professeurs, littéraires comme leur père, que plus tard ses dix petits enfants aient tous décroché une mention Bien ou Très Bien au baccalauréat, que l'une de ses petites filles ait été reçue à l'ENS rue d'Ulm et 1ère à l'agrégation de biologie. Elle aura pu constater par ailleurs que les gènes scientifiques sont réapparus, puisque 7 de ses petits enfants ont poursuivi des études scientifiques, et trois des études littéraires. Mais curieusement sur ses dix petits enfants, un seul sera professeur.
Fin 1974 : moment charnière, période terrible. Jean et Paule Comet rentrent en voiture de Luchon. Soudain Jean Comet qui conduisait ressent une douleur au bras gauche. A l'époque, pas de téléphone portable. Ils s'arrêtent près de Carcassonne à côté de la maison d'un garde barrière. Madame Comet rentre dans la maison pour téléphoner et prévenir les secours, pendant que la garde barrière va porter assistance à son époux : lorsqu'elle arrive à la voiture, Jean Comet est mort. Il a 59 ans, nous sommes le 3 Novembre 1974. Les trois enfants aînés ont quitté le domicile parental, pour poursuivre leurs études et vivre leur vie. Mais le cadet François a seulement 14 ans. En tant qu'inspectrice pédagogique régionale en sciences naturelles, Madame Comet avait la responsabilité d'un territoire s'étendant sur 800 km. Aussi le Recteur Richard lui propose-t-il de poser sa candidature à la direction du CRDP de Montpellier. Elle succède ainsi à son mari à ce poste de Février 1975 jusqu'à sa retraite le 31 Décembre 1976.
4. La retraite, l'Académie
En 1975, Madame Comet est admise à l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Elle s'est totalement investie dans cette assemblée au point, par exemple, d'assister tous les jeudis à Luchon où elle passait ses vacances, aux réunions de l'Académie Julien Sacaze qui regroupait des érudits du Comminges : elle s'y considérait comme la représentante de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.
Peu de temps après son entrée à l'Académie, elle se voit confier une responsabilité importante qui lui donne un rôle particulièrement actif et utile. En 1979 en effet, elle accepte la charge de Directrice des publications de l'Académie, au décès de François Pitangue qui, avec Gaston Vidal, secrétaire perpétuel, avait, dix ans auparavant, redonné vie au Bulletin arrêté avec la seconde guerre mondiale. Pendant quatorze ans Madame Comet s'est dévouée à cette tâche. Une dédicace lui a d'ailleurs été consacrée dans le numéro 23 du bulletin de l'Académie publié en 1994, où il est expliqué que : « L'édition du Bulletin exige de son responsable temps, capacité et dévouement ; tout cela, Madame Comet le lui a prodigué sans faille. ». Madame Comet assurait à ce propos que ce qu'elle appelait elle-même "son œil inspectoral" détectait d'emblée les moindres failles, aussi bien la plus petite faute dans les textes que lui remettaient les académiciens que le moindre désordre dans l'appartement où elle pénétrait.
Madame Comet, toujours débordante d'activité, entreprend après 1977, de grands voyages à travers le monde, voyages qu'elle relatera dans les conférences qu'elle donnera à l'Académie puisque sur les 12 qu'elle prononcera, 10 décriront ses voyages : au delà du rideau de fer, en Sibérie, au Canada, en Chine du Nord, Mongolie intérieure, Chine du Sud, Espagne, Finlande, Irlande, Chypre.
Mais il en fallait encore plus pour venir à bout de son énergie : elle s'engage dans des mouvements associatifs, et à chaque fois ne se contente pas d'être une militante de base passive, elle prend des responsabilités à la tête de ces organismes et ce faisant se met au service de ses membres :
– Présidente de l'Association des Femmes Françaises Diplômées des Universités (AFFDU) groupe de Montpellier, de 1977 à 1987.
– Vice-Présidente de l'Association des membres de l'Ordre des Palmes académiques (AMOPA 34).
– Membre du Bureau du Centre d'Etudes Canadiennes de Montpellier (CECAM) et trésorière de 1988 à 1992.
Il n'est pas surprenant dans ces conditions que Madame Comet se soit vue décerner plusieurs distinctions honorifiques. Elle est:
– Chevalier de l'Ordre National du Mérite depuis 1972, – Commandeur de l'Ordre des Palmes Académiques depuis 1974.
– Chevalier de la Légion d'Honneur depuis 1983, « sur proposition du ministère des droits des femmes », précise Madame Comet.