Les joies de la victoire ne sauraient nous faire oublier ceux qui sont morts avant d'avoir pu les goûter. Notre distingué confrère, M. Maurice Gennevaux, a été malheureusement de ceux-là et c'est à l'âge de trente-sept ans seulement, alors qu'un avenir plein de promesses lui semblait réservé, qu'il a été enlevé à notre estime et à notre affection. On a dit, non sans raison, que ceux qui meurent jeunes sont aimés des dieux et que les tout jeunes qui s'en vont ainsi, n'ayant connu de la vie ni les difficultés, ni les chagrins, ni les laideurs, sont des bénis. S'il en est bien ainsi — et les heures inoubliables que nous vivons en ce moment pourraient nous en faire douter — M. Maurice Gennevaux est parmi les bénis. Son existence fut bien courte, mais elle fut du moins bien remplie, et il est peu d'hommes de son âge qui aient accompli une tâche aussi laborieuse et aussi féconde. On l'a rappelée en excellents termes dans une notice nécrologique où les lettrés ont cru reconnaître la plume exercée et la haute compétence de l'un des membres de notre Académie, qui était aussi le collègue de M. Gennevaux à la Société archéologique. Vous me pardonnerez d'y faire quelques emprunts. Contrairement aux emprunts habituels, ils augmenteront, s'il en était besoin, la richesse de notre patrimoine, le débiteur n'ayant ni l'obligation ni la possibilité de payer sa dette.
Tout jeune, notre collègue s'était passionné pour l'étude de la géologie. Il fut l'un des élèves les plus assidus et les plus enthousiastes de l'éminent et regretté Doyen de la Faculté des Sciences, M. le professeur de Rouville, dont le nom est doublement et si bien représenté au sein de notre Compagnie. Par une pente toute naturelle, la géologie l'amena à la paléontologie et à la préhistoire, qui fut pour lui le chemin de l'archéologie, sa science préférée. Sa jeune renommée le fit admettre rapidement au nombre des membres résidents de notre Société archéologique, et bientôt après il était choisi comme conservateur de ses précieuses collections. « Noblesse oblige », et c'est surtout depuis ce moment qu'il s'occupa, avec une inlassable ardeur, de l'étude de tout ce qui se rattachait au passé de la région montpelliéraine, depuis les grossiers instruments de l'âge de pierre jusqu'à ces belles faïences des XVIIe et XVIIIe siècles, ou à ces merveilleuses plaques de cuivre qui firent l'ornement de cette intéressante exposition « du Vieux Montpellier », organisée il y a deux ans, à la Préfecture, par M. l'avocat général Creissels, et dont le succès fut si grand, beaucoup grâce à notre collègue, malgré les angoissantes préoccupations de la guerre.
M. Gennevaux y prenait part comme tous les bons Français ; quoique d'une santé délicate qui l'eut dispensé de tout service, il n'avait pas hésité à contracter un engagement volontaire, et c'est dans un hôpital militaire qu'il a trouvé la mort. Parmi ses plus importantes découvertes, il convient de signaler celle d'une station néolithique sur le domaine de la Taillade, près de la Mosson. Il en fit une intéressante étude qui a été publiée dans le Bulletin de la Société languedocienne de Géographie. M. Gennevaux avait aussi, à une date récente, entrepris des recherches fructueuses à Castelnau, sur l'emplacement de la station romaine de Substantion, où il a notamment sauvé d'une destruction certaine une admirable mosaïque romaine, comme il devait découvrir — et c'est l'un de ses titres les plus précieux à la reconnaissance du monde savant — des monuments lapidaires d'origine gauloise de la plus grande rareté et d'un haut intérêt pour l'histoire de la période préromaine. Je ne saurais oublier que, grâce à ses fouilles incessantes du sol de Montpellier, et particulièrement des sablières de la Pompignane, il en a retiré des documents paléontologiques de grande valeur dont il avait formé une inestimable collection.
Comment ne pas rappeler enfin avec quelle ardeur — dont l'origine était due à la passion de l'archéologue, doublée de la foi du croyant — il poursuivit dans les premiers mois de l'année 1914, en collaboration avec la très regrettée Mlle Guiraud, les fouilles laborieuses qui devaient mettre au jour les restes de la vénérable crypte de l'ancienne église de Notre-Dame des Tables et une partie de sa chapelle souterraine, sur l'emplacement occupé autrefois par la Halle aux Colonnes, et l'on peut dire à juste titre que le dessous, si longtemps ignoré, valait mieux que le dessus.
Malgré son rare mérite, M. Gennevaux était d'une extrême modestie et, pressé bien souvent de publier le résultat de ses travaux, il a rarement consenti à le faire, estimant — contrairement à l'avis de tous — que son apport scientifique était encore insuffisant. On peut cependant signaler parmi ses principaux travaux une étude sur Un nouveau gisement de mammifères eogènes aux environs de Montpellier, publiée en collaboration avec M. Roman, de l'Université de Lyon, et des Recherches spéléologiques dans la région de Saint-Loup, en collaboration avec M. Albert Mauche. M. Gennevaux — qui n'avait certes point suivi le conseil de Pascal : « Tout le malheur des hommes vient de ne pas savoir se tenir en repos dans une chambre » — était, malgré ses occupations, très assidu à presque toutes les séances de l'Académie, soit à la Section des Lettres, dont Il faisait partie, soit à nos séances en Assemblée générale. Sa rare érudition et sa parfaite courtoisie y étaient hautement appréciées de tous. Il nous avait fait cette année — et il devait compléter prochainement — une communication d'un grand intérêt sur les fouilles d'Enserune, près de Béziers. Il les avait visitées, comme délégué de la Société archéologique, en même temps que MM. les professeurs Salomon Reinach, Pottier et Cartailhac, et nous avait décrit, avec une compétence toute particulière, le cimetière ibérique découvert là par M. Mouret, en nous donnant de nombreux détails sur les vases grecs et le mobilier funéraire mis récemment à la disposition des savants par cette très importante découverte. Il projetait encore de nombreux travaux, quand la Mort impitoyable est venue le faucher avant qu'il eût terminé sa tâche, ce qui est, comme l'a si bien dit notre philosophe montpelliérain Renouvier, « la plus triste des tristesses de la vie ». Si le confrère regretté, dont notre Compagnie conservera fidèlement le souvenir, a certainement ressenti cette tristesse, il a trouvé du moins la consolation suprême dans la pensée des espérances éternelles ! Puisse aussi cette pensée atténuer la douleur de sa famille que je prie, au nom de l'Académie, d'accepter l'expression sincèrement émue de notre profonde sympathie.
Président RACANIE-LAURENS, 1919