Il y a exactement 100 ans, le 7 juillet 1918, mourait le Professeur Joseph Grasset, dont le souvenir ne s’est pas éteint à Montpellier, ne serait-ce que grâce à l’avenue qui porte son nom.
Joseph Grasset fut titulaire du XIe fauteuil de la section Médecine de l’Académie. Il est né à Montpellier le 18 mars 1849 et y a toujours vécu, au sein d’une famille profondément catholique et qui comptait au fil des générations de nombreux professeurs de la Faculté. Brillant élève (premier prix de philosophie au Concours général, ce qui dispensait alors du service militaire), il suit sans accroc le cursus médical et envisage une carrière professorale. Le gouvernement voulant limiter les recrutements locaux de complaisance institue en 1875 un concours national d’agrégation (fonction alors temporaire). Grasset y est reçu premier, devant Dieulafoy. Professeur de Thérapeutique dès 1881, il succède à Dupré en 1886 dans une des chaires de clinique médicale, alors les plus prestigieuses. C’est une période d’intense activité entre service hospitalier (ou ses leçons sont célèbres), clientèle et rédaction d’ouvrages de clinique, de philosophie ou de vulgarisation (Demi-fous et demi-responsables, Les limites de la biologie, Devoirs et périls biologiques...).
Se sentant vieillir et préférant « descendre de sa chaire avant que d’en tomber », il fait en 1909 échange d’enseignement avec son élève Rauzier, prenant en charge l’enseignement de la Pathologie générale, dans laquelle il voyait le couronnement de la médecine. Ce sera l’occasion de rédiger son Traité de physiopathologie clinique (1910), sans doute son chef d’œuvre.
On peut distinguer dans l’œuvre de Grasset trois grands volets : médecine proprement dite (principalement neurologie), histoire et philosophie de la médecine, œuvre littéraire.
En neurologie, Grasset a laissé son nom à un signe clinique aujourd’hui oublié : le signe de Grasset-Gaussel (impossibilité en cas de déficit moteur d’un membre inférieur de maintenir les deux jambes surélevées sans appui) et la loi de Grasset-Landouzy qui en est proche (en cas d’hémiparésie, le patient peut surélever une jambe après l’autre, mais non les deux à la fois). Plus profondément, il insiste sur le fait que les localisations cérébrales sont beaucoup plus fonctionnelles qu’anatomiques et qu’on peut les schématiser sous forme d’un polygone permettant de distinguer «atteintes sus-, trans- et sous-polygonales » : on se retrouve près des résultats obtenus de nos jours par Hugues Duffau par la stimulation corticale peropératoire ! Ses monographies neurologiques feront date.
Grasset se passionne pour l’histoire de la médecine et notamment celle de notre Faculté, qui est aussi un peu celle de sa famille (il écrira notamment un ouvrage sur François Boissier de Sauvages, qui était l’un de ses ancêtres). Il prend la défense du vitalisme de Barthez, non sous une forme dogmatique, mais en y voyant une vision prémonitoire de l’autonomie du vivant, telle que la confirmeront au XIXe siècle les travaux de Claude Bernard ou de Pasteur. Essayant de reformuler pour le XXe siècle une philosophie médicale prenant en compte les acquis du siècle précédent, il propose un « Idéalisme positif » conciliant démarche positive et philosophie idéaliste.
Grasset veut enfin porter auprès du public les grands débats de la science de son temps, dans une langue claire, toujours amène vis-à-vis de ses contradicteurs. Il écrira même une pièce de théâtre (Dans un cabinet de médecin, 1905, sous le transparent pseudonyme de J. Gasters !)
Appelé en consultation aux quatre coins de la région, conseiller municipal de Montpellier (d’opposition !), Grasset est une personnalité bien connue, reconnue par ses pairs hors de la cité (en tant que président du congrès français de médecine il présente un rapport en 1899 sur l’Évolution de la médecine en France au XIXe siècle). Son jubilé est fêté solennellement en 1912 (on lui offre alors son buste en marbre par Injalbert qui trône aujourd’hui dans la Salle du Conseil).
Personnalité hors du commun, fort sympathique et même malicieuse, pratiquant l’autodérision avec beaucoup d’humour, Grasset laisse une œuvre impressionnante, bien oubliée aujourd’hui, sans doute à tort. Ses conceptions neurologiques paraissent très actuelles, à l’heure de la plasticité cérébrale, et ses aperçus philosophiques, bien sûr datés, ne manquent pas d’originalité. Il est juste que l’Académie lui rende hommage, tout comme la Faculté de médecine.
La Société montpelliéraine d’histoire de la médecine lui consacre sa séance 12 octobre 2018 et la Municipalité, au sein de laquelle il œuvra, a été invitée à s’associer à cette manifestation.
Thierry Lavabre-Bertrand