Né à Enghien le 8 Février 1927, il rejoint très tôt Montpellier avec sa mère, son frère aîné Jean et sa soeur Simone. Son adolescence de lycéen sera particulièrement difficile en pleine guerre mondiale et en raison du décès de sa mère à l’âge de 44 ans: il va renoncer à un projet établi par son oncle industriel en matériel médical, terminer son cursus secondaire et entreprendre les études médicales. Après sa réussite au PCB en 1947, externe des hôpitaux en 1949, il obtient deux diplômes: biologie du sport et pneumo-phtisiologie. Nommé aide d’anatomie, il est marqué lors de son stage en neuro-chirurgie par cette formule du professeur Claude Gros: « seuls réussissent les acharnés et les passionnés ». Il réussit au concours d’internat (6 places) en 1954 après deux années en qualité d’externe en premier. Nommé prosecteur d’anatomie, à l’hôpital, il acquiert sa formation chirurgicale générale et en particulier thoracique, fort de son acquis pneumologique médical; enfin, il côtoie l’agrégé du professeur Roux, Éric Nègre qui réalise les premières opérations sur le coeur. Au courant de ce qui se fait outre-Atlantique, il obtient une bourse pour le Centre de Chirurgie Cardiovasculaire de Minneapolis chez Walton Lillehei, précurseur de la chirurgie cardiaque moderne. De 1957 à 1958, dans le laboratoire expérimental, avec le titre de « fellow resident », il travaille entre autres à la stimulation cardiaque par pace-maker; il y côtoie successivement Christian Cabrol et Christiaan Barnard avec lesquels il se liera d’amitié, et Normann Shumway, auteur de la première greffe cardiaque chez le chien. De là, il se rend plusieurs fois à la Mayo Clinic chez J.W. Kirklin. Lors de ses deux derniers mois aux USA, rejoint par son épouse, en un périple de 22 000 km, il visite les grands centres de chirurgie cardiaque: Houston, Palo Alto, Boston, St Louis et Chicago. De retour à Montpellier, il termine son internat avec une médaille d’or, soutient en 1960 une thèse d’avant-garde sur la chirurgie à coeur ouvert sous hypothermie profonde et obtient un poste de chef de clinique dans le service du professeur Éric Nègre dans lequel malheureusement il ne pourra appliquer tout ce qu’il a appris en chirurgie cardiaque. Cependant, il poursuit l’expérimentation animale chez le chien dans le laboratoire de cardiologie à la Faculté. La fonction de chef de clinique étant peu rémunérée (avant la réforme Debré), il pratique avec le docteur le Foyer la chirurgie de la tuberculose, la radiologie vasculaire chez le professeur Bétoulières et enfin une installation temporaire en clinique privée (où j’ai eu le privilège d’effectuer quelques aides opératoires). Il consacre son activité hospitalière à la seule chirurgie vasculaire de l’aorte, des troncs supra-aortiques et en particulier de la carotide qu’il va porter au zénith avec des techniques d’avant-garde et des résultats qui consacreront sa notoriété. L’agrégation en chirurgie thoracique et cardio-vasculaire obtenue en 1966 ne lui permettra pas d’élargir son activité chirurgicale à la chirurgie cardiaque et même thoracique, mais sa maîtrise de la chirurgie vasculaire lui assurera une renommée dans l’Europe entière, l’Afrique et le Moyen-Orient, mais aussi jusqu’en Amérique et au Japon. En 1971, sa longue patience est enfin récompensée: nommé chef de service en chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, il ouvre l’année suivante son service de chirurgie à l’hôpital l’Aiguelongue où, tout en poursuivant son activité en vasculaire, il met en place la chirurgie vasculaire et coronarienne. En 1986, il peut enfin réaliser son rêve: les conditions de l’immunosuppression étant acquises, il met en place avec sa nouvelle équipe (dont le professeur Bernard Albat) un programme de greffes cardiaques qu’il poursuivra jusqu’à son départ. En 1992, lors du regroupement sur l’hôpital cardio-pneumologique Arnaud de Villeneuve, il est nommé chef de service de transplantation cardiothoracique, jusqu’à sa nomination en qualité de consultant l’année suivante. Il quitte ses fonctions hospitalières en 1994. La même année, il est admis à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier section médecine où il occupera avec son ami le professeur Hubert Bonnet le poste de bibliothécaire et rédigera plusieurs ouvrages sur l’histoire de la médecine et des hôpitaux de Montpellier.
Le Professeur André Thévenet a publié plus de 600 articles et rédactions d’ouvrages, il était membre actif de sept sociétés internationales majeures (dont l’European Society for Cardio Vascular Surgery qu’il présida en 1992 et l’International Society for Cardio Vascular Surgery dont il fut le vice-président) et de 8 sociétés scientifiques françaises (dont: membre de l’Académie de Chirurgie, membre correspondant de l’Académie de Médecine et co-fondateur de la Société de Chirurgie Vasculaire en 1981). Il s’est également impliqué dans des fonctions administratives à la Faculté de médecine, au CHU, au CNU et bon nombre de conseils d’administration de sociétés savantes. Outre ses anciens amis les professeurs Ch. Cabrol et Ch. Barnard, il avait gardé le contact avec les professeurs Ch.Hahn de Genève et V. Bjork d’Uppsala.
J’ai eu la chance de pouvoir apprendre à ses côtés de 1965 à 1972 dans le service du professeur Nègre à Saint Éloi, puis de le seconder dans son service de 1972 à 1985, soit près de vingt années. Outre les nombreux chirurgiens qu’il a formés, j’ai vu se succéder bon nombre de visiteurs et de stagiaires français et étrangers venir apprécier et apprendre ses techniques. Je garde la mémoire d’un maître cultivé et humaniste, patient mais déterminé, infatigable travailleur, audacieux et virtuose opérateur auquel je dois ma réussite hospitalo-universitaire et qui, par ailleurs, pour l’ensemble de son oeuvre, a largement contribué à la renommée de notre École de médecine.
Il est décédé le 23 Décembre dernier dans sa quatre-vingt treizième année; ses obsèques, selon sa volonté, ont eu lieu dans l’intimité familiale le 28 Décembre. Un vibrant et émouvant hommage lui a été rendu par ses enfants puis par le docteur Jean-Max Robin, président de la section Médecine de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.
Professeur Henri Mary
C’est avec beaucoup de tristesse et une très grande émotion que je vais rendre hommage au Professeur André Thévenet, membre de notre compagnie depuis 1991 et qui vient de nous quitter. Je l’ai personnellement bien connu, particulièrement pendant les 20 années où il m’a accueilli dans son service, comme cardiologue attaché et où j’ai pu me rendre compte de sa haute valeur Je crois sincèrement qu’il était un homme d’exception. Je veux également remercier ici Daniel Grasset et Régis Pouget, qui lui étaient très liés et qui ont décidé de ne pas prendre la parole, pour ne pas trop allonger notre séance académique d’aujourd’hui.
Pour évoquer brièvement sa mémoire, permettez-moi de dire quelques mots d’abord du médecin, puis de l’académicien cultivé, et enfin de l’homme lui-même.
Médecin, sa vocation s’est affirmée très tôt, dès la fin de ses années au Grand lycée de Montpellier, et très vite, il a été attiré par les pathologies cardiaques et vasculaires. Passant brillamment les concours hospitaliers, il a eu l’audace et le courage d’aller en 1957, se former auprès des pionniers de la chirurgie cardiaques aux Etats –Unis, en particulier à Minneapolis chez Walton Lillehei, véritable fondateur de la chirurgie cardiaque moderne. C’est dans cet extraordinaire creuset qu’il côtoiera ceux qui deviendront les géants de cette discipline, Norman Shumway, Christian Cabrol, ou Christian Barnard. Il y développera des travaux personnels remarquables, et complètera sa formation en visitant tous les grands centres cardiologiques américains.
Après ces trois années outre atlantique il va poursuivre une carrière à Montpellier, marquée bien entendu par tous les échelons hospitalo-universitaires jusqu’ à devenir Chef de service de la nouvelle unité de chirurgie cardio-vasculaire de l’hôpital de l’Aiguelongue et Professeur de chirurgie cardiaque et vasculaire à la Faculté de Montpellier.
Tout au long de son parcours, il ne cessera d’innover, aussi bien dans les techniques qui vont révolutionner les affections vasculaires, tout spécialement la chirurgie carotidienne où Il y deviendra une référence, mais également dans la mise au point des conditions nécessaires à la réussite des greffes cardiaques, dont il a été l’un des initiateurs en France.
Ses travaux ont évidemment débouché sur plus de 400 publications et sur la rédaction d’une quarantaine ouvrages spécialisés. Sa notoriété l’a amené à la participation active à de très nombreux congrès à travers le monde.
Devenu président de la société européenne de chirurgie cardio-vasculaire et vice président de la société internationale de chirurgie cardio-vasculaire, membre de l’Académie nationale de chirurgie, et de l’Académie de Médecine, il va s’en dire que sa renommée a franchi les frontières, d’autant qu’il a formé d’innombrables spécialistes répandus aux quatre coins de la planète.
La deuxième facette d’André Thévenet, c’est bien sur, celle de l’homme cultivé, celle qui lui a valu, d’être élu à l’académie des sciences et lettres de Montpellier, parrainé par le professeur André Bertrand, homme de grande culture et avec qui il avait de longue date, une profonde amitié. André Thévenet, comme à son habitude s’est pleinement investi au sein de notre compagnie Il y a donné nombre de communications en particulier une remarquable biographie de Walton Lillehei, qu’il a ensuite reprise pour un article princeps de l’Encyclopédie Universalis. Il a également assuré la présidence de la section Médecine de notre compagnie en 1998, et a accepté la lourde charge de bibliothécaire de notre académie. Enfin travail ardu s’il en est, avec le concours du Professeur Hubert Bonnet, il a rédigé l’ouvrage magistral de l’histoire de cette même académie, de 1846 à nos jours. Travail complété par l’histoire de ses bibliothèques et de l’index de ses publications.
Mais je ne saurai terminer cet hommage, sans souligner les qualités humaines remarquables d’André Thévenet. Je peux témoigner de sa générosité, de sa disponibilité, de la qualité de ses rapports avec les patients dont il avait la lourde charge, payant de sa personne sans compter. Tout cela avec un dynamisme et un sourire inoubliables. C’est qu’il était habité par un humanisme d’une grande profondeur. Et comme le rappelait André Bertrand s’adressant à lui : je le cite « vous aviez affirmé votre joie et votre fierté d’avoir participé à la naissance et au développement de votre spécialité, mais vous vous alarmiez des avances technologiques qui tendent à déshumaniser votre profession. Et vous faisiez remarquer que depuis Gui de Chauliac, l’Humanisme est une part essentielle de notre civilisation latine et qu’il doit demeurer la lumière qui nous guide. »
Jean-Max Robin, Président de la Section de Médecine 2019