Pierre Lenthéric est maître d'étude et professeur de mathématiques au Collège royal de Montpellier dès 1811. En 1815 il est chargé de l'enseignement des mathématiques élémentaires. Auteur de deux thèses, l'une sur la cosmographie des habitants de la lune, l'autre sur l'optique des poissons et d'un mémoire sur les mouvements relatifs insérés dans les Annales de mathématiques. A la faculté des sciences de Montpellier, il est chargé de cours à la chaire de mathématiques transcendantes en 1825 et en devient titulaire en 1833. En 1844, il est nommé titulaire de la chaire de physique de manière provisoire, après le départ à la retraite du professeur Gergonne. A partir de 1841, il compte parmi les conseillers municipaux de la ville de Montpellier. Il devient maire entre décembre 1848 et janvier 1849.
Pierre Lenthéric est membre de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier entre 1847 et 1849.
Source : Geneanet
LENTHÉRIC (PIERRE), professeur. Il marche droit ; pratique la justice ; dit la vérité qui est dans son cœur ; sa langue ne calomnie jamais ; il ne fait point de mal à son semblable ; ne verse point l'opprobre sur son prochain ; dédaigne l'homme méprisable ; il honore ceux qui craignent le Seigneur et tient son serment, même à son détriment, (Ps. XV.) C'est ainsi que le Psalmiste a tracé, il y a vingt-cinq siècles, le caractère de celui dont nous allons esquisser la vie. Dans la fertile vallée de Béziers, au nord de cette charmante ville, est située une petite commune nommée Allignan-du-Vent. On y trouve la simplicité, les mœurs de la campagne, mais non pas l'ignorance. Les habitants parlent français, distinction honorable dans une contrée où l'idiome languedocien est la langue usuelle. Il y a quelques années que l'Université renfermait plus de vingt fonctionnaires, inspecteurs, proviseurs, professeurs, etc., nés à Allignan où l'on compte à peine onze cents âmes. Existe-t-il un second village en France duquel on puisse en dire autant ? Une autre singularité est que plus du quart des familles de l'endroit portent le nom lombard Lentheric, devenu synonyme, dans le pays, d’honneur et probité.
Issues probablement d'une même souche, il n'existe pourtant entre ces familles que des parentés par alliance. Jean-Jacques Lenthéric, bourgeois aisé de la commune, eut cinq enfants, deux garçons et trois filles, de son union avec Claire Paierq, d'Abeillan (près Allignan). L'instruction avait développé chez cette femme d'admirables qualités ; d'une piété douce et éclairée, charitable avec intelligence, son nom n'est encore prononcé dans la contrée qu'avec un sentiment de vénération. Nous insistons sur ces détails , car, dans l'éducation, l'influence des mères est prépondérante. Déposer dans le cœur des enfants le germe de la vertu, y allumer la foi aux idées religieuses, est une sainte mission confiée par la Providence aux femmes. Celle-ci a parfaitement rempli une mission dont elle est, sans doute, récompensée. D'après une sage et louable coutume, le fils ainé fut destiné à la culture du bien paternel, qui donnait à cette famille, aux goûts simples et modestes, une honnête aisance. C'est le père du professeur actuel du Génie à Montpellier, et qui veut bien enrichir quelquefois les Nouvelles Annales de ses instructives communications. Lenthéric (Pierre), le fils cadet, né le 9 février 1793, fut destiné à une profession libérale. On le confia, dès l'âge de neuf ans, à un bon curé d'un village voisin (Nisas) ; à douze ans, on l'envoya au collège de Béziers, alors sous la direction de son compatriote Bouchard ; mais M. Crozat ayant fondé, quelques années après, un collège à Allignan, les parents rappelèrent le jeune Lenthéric auprès d'eux, et il termina à Allignan des études élémentaires assez faibles et très incomplètes. Il sut bientôt après tout ce que ses maîtres étaient capables de lui enseigner, et s'était toujours fait distinguer par son caractère docile, son application et son intelligence. C'est avec ce mince bagage littéraire et scientifique qu'il fut envoyé à Montpellier, à l'âge de dix-sept ans, pour étudier en médecine. C'était le temps où d'interminables guerres, soutenues pour des intérêts dynastiques, avaient rendu la conscription l'effroi des familles, qui déploraient l'ambition du souverain. Les remplacements, très dispendieux , dépassaient les moyens ordinaires. Comme l'on voyait beaucoup partir et peu revenir, les exemptions étaient recherchées comme des rachats de la peine capitale. L'emploi de maître d'étude, souvent plus dur que le service militaire, en dispensait. C'est en juillet 1811, par l'entremise de Bouchard, son ancien principal, devenu inspecteur d'Académie, que Lenthéric fut admis, comme maître d'étude, au lycée de Montpellier. Malgré ces pénibles fonctions, il ne discontinua pas ses études médicales pour lesquelles il montrait du goût et de l’ardeur, lorsqu'une circonstance particulière le porta vers les sciences exactes, auxquelles il était resté jusqu'ici à peu près étranger. Encontre, géomètre distingué, connu surtout par de savants Mémoires dans les Annales de Mathématiques, était alors professeur au lycée de Montpellier. Un jour, étant arrivé avant l'heure de la classe, le professeur aborde, dans la cour du collège, un jeune maître d'étude, le fait causer, s'informe de ses occupations, de ses projets ; lui trouve de la modestie, de l'intelligence, une rectitude d'esprit peu commune, et l’engage avec bienveillance à venir le voir chez lui. Lenthéric ne racontait jamais sans émotion la première visite du simple maître d'étude au professeur placé si haut dans l'estime et dans la considération publique. Vingt-deux ans plus tard, il devait rencontrer, dans la même maison, une jeune épouse, telle que sa digne mère aurait pu la souhaiter à son fils. Existe-t-il un plus bel éloge ? Encontre conseilla à son jeune protégé d'abandonner la médecine et de se livrer à l'étude des sciences, en lui offrant ses conseils et ses leçons. Le jeune homme accepta avec ardeur cette offre généreuse : sou application et ses succès lui valurent, en I8I5, le titre de professeur de mathématiques élémentaires au lycée de Montpellier, après avoir rempli, pendant cinq ans, les pénibles et ingrates fonctions de maître d'étude. Il rappelait souvent ce titre avec orgueil ; c'est qu'alors , en effet, il avait développé cette vigueur de caractère et s'était livré à ce labor improbus, sauve-garde des passions dont aucune ne troubla une jeunesse studieuse. En 1821 il remplit les fonctions de censeur, et fut aussi chargé de l’enseignement de la physique, qu'il professa avec le même talent que les mathématiques. Nommé suppléant du professeur de mathématiques transcendantes à la Faculté, il en remplit les fonctions de 1827 à 1830. En 1830, le célèbre fondateur du journalisme mathématique en France, le vénérable M. Gergonne, étant devenu recteur, Lenthéric, longtemps son collègue, le remplaça dans la chaire de mathématiques spéciales, et suppléa la chaire d'astronomie de 183o à 1833 ; cette même année, il devint professeur titulaire des mathématiques transcendantes à la Faculté.
« Doué d'un savoir étendu, Lenthéric connaissait toutes les méthodes ; il les avait appréciées, surtout au point de vue de l'enseignement. Aussi son cours brillait par l’ordre et l'enchaînement des propositions, et par l'art avec lequel il savait resserrer chaque théorie, et la restreindre à sa partie essentielle pour que l'intelligence de l'élève pût l'embrasser tout entière, en saisir l'esprit et se la rappeler sans effort. Une fois devant des auditeurs, il savait oublier toute sa science pour se mettre à leur portée, et deviner en quelque sorte, dans le regard de l'élève, la difficulté qui l'arrête pour l'aplanir immédiatement. Quiconque a suivi ses leçons n'oubliera jamais la lucidité de sa parole, la netteté de son exposition, le talent avec lequel il savait diriger les jeunes gens et leur donner des indications pratiques ; ces conseils d'autant plus précieux, qu'on les cherche vainement dans les livres. Ce sont ces diverses qualités qui lui ont valu ses succès dans l'enseignement. Chaque année sa classe fournissait aux écoles de nombreux et bons élèves qui sont répartis aujourd'hui dans les corps savants. Tous ont conservé un précieux souvenir de son zèle infatigable, de ses méthodes et du talent d'exposition qui le caractérisait. »
Nous empruntons cette appréciation judicieuse d'un beau talent à une Notice de M. Roche, géomètre d'un bel avenir, élève et successeur de Lenthéric. Parmi ses autres élèves déjà avantageusement connus dans la science, nous comptons M. l'abbé Aoust, agrégé de l'Université et professeur au lycée de Strasbourg-, M. Ossian Bonnet, professeur au collège Rolling et M. Lenthéric neveu, professeur à l'École du Génie à Montpellier. Tel était le professeur, éminent au milieu de tant d'excellents fonctionnaires qui font l'ornement de l'Université. Lorsque tant d'autres se bornent strictement aux devoirs professionnels, et, laissant dormir des talents que la Providence accorde sous bénéfice d'en user, s'engourdissent dans une honteuse inertie, Lenthéric, obéissant à de saintes convictions, trouvait toujours, dans un bien accompli, l'activité nécessaire pour un nouveau bien. Partout où il fallait une probité sévère, une intelligence éclairée, un dévouement sans bornes, c'est à Lenthéric que ses concitoyens s'adressaient. Tel il se montrait au conseil des hospices, dont il était administrateur, jusqu'à sa mort ; tel on le voyait au conseil municipal, où il fut porté par le suffrage unanime de toutes les opinions, en 1830, et derechef en 1848. Les opinions les plus exagérées s'inclinaient devant la modération du sage ; sa coopération n'était jamais stérile, et lui a même survécu ; c'est ainsi que la cité de Montpellier exécute en ce moment un beau travail de distribution des eaux, dont la première idée appartient à Lenthéric. Platon dit, dans sa VIIe Lettre, « que le genre humain ne sera heureux que lorsqu'il sera gouverné par de vrais philosophes. » On ne cite guère cette assertion que pour la critiquer, comme étant démentie par l'expérience ; mais à tort, car, chez les anciens, le point de départ et d'arrivée, l’alpha et l’oméga de toute philosophie, c’est la vertu d'abord, et la science ensuite; tandis que chez beaucoup de nos prétendus philosophes , il y a inversion et souvent même divorce. Ils se distinguent du vulgaire par l'intelligence et non par la sagesse. Platon serait complètement justifié si tous les gouvernants étaient modelés sur Lenthéric. Dans la vie privée, doué d'un caractère dont rien ne troublait la sérénité, d'une humeur toujours égale, d'une extrême patience, d'une extrême indulgence pour les défauts d'autrui ; il n'avait jamais que des paroles douces, sans la moindre amertume. Esprit conciliant, observateur rigoureux des moindres convenances, nullement exigeant pour lui-même, il faisait rayonner le bonheur sur tout ce qui l'entourait. Il avait épousé en secondes noces une femme dont les agréments personnels et les qualités du cœur et de l'esprit ont charmé les quinze dernières années de son existence. Lenthéric, d'un physique avantageux et d'une santé robuste, semblait destiné à une longue carrière. Par une sorte de pressentiment, il alla, pendant les vacances de 1849, visiter le foyer natal qu'il ne devait plus revoir. A son retour, des symptômes alarmants se déclarèrent subitement ; le mal fit en quelques jours des progrès effrayants. Les soins affectueux et intelligents des professeurs de la célèbre Faculté, et le dévouement d'une famille éplorée, tout fut inutile. S'éteignant lentement et sans souffrance, il termina sa mission terrestre, le 19 novembre 1849, à l'âge de cinquante-six ans. Sa perte a été ressentie dans la contrée comme un deuil public. Toute la cité, dans toutes les conditions, a voulu accompagner l'homme de bien à sa dernière demeure, cortège spontané qui suit rarement les grands aux yeux du monde.
Il avait pour amis, Serres, savant professeur d'anatomie à la Faculté de Montpellier, qui l'a précédé de six mois dans la tombe ; et M. Balard, célèbre chimiste, membre de l‘Académie des Sciences. Un testament olographe, trouvé parmi ses papiers, se termine par ces lignes : « Je déclare mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, que les vertus de mon père et de ma mère m'ont fait aimer et respecter tout autant que les vérités quelle enseigne » Ce peu de mots résume son caractère, toute sa vie. Il laisse une veuve et trois enfants, dont un fils de treize ans, qui donne déjà de belles espérances. Le Ministre de l'Instruction publique a adressé à la mère une lettre de condoléance très flatteuse ; distinction honorable, nullement sollicitée, hommage rendu aux qualités supérieures de la femme, expression officielle d'estime et de regrets du corps universitaire pour l'ancien professeur de la docte Faculté de Montpellier; titre d'honneur que la famille se transmettra pour en être toujours digne.
Biographie Nouvelles annales de mathématiques 1re série, tome 9 (1850), p. 419-429
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